Après les échanges de Boissy en février, le projet Erasmus+ Companionship in agroecology a tenu sa 3ème rencontre en Belgique du 21 au 27 octobre 2022. Les visites et ateliers à Anderlecht dans les potagers de Vert d'Iris, ont été suivis de rencontres avec plusieurs membres du Mouvement d'Action Paysanne : la Ferme Arc-en-ciel à Wellin, la Ferme du Pré aux Chênes à Macon, la nouvelle coopérative de coworking l'Amagda de Macon, et le magasin coopératif de La Botte Paysanne à Sivry.
Le but de cet évènement était d'échanger sur les pratiques de transmission de compétences entre formateurs et apprenants dans le secteur de l'agro-écologie pris au sens large.
1) Potagers de Vert d'Iris à Anderlecht
Le programme à Anderlecht a proposé des tours de potagers (Betteraves enz., InnRGreen), une introduction au programme d'apprentissage ESAD, des dégustations de légumes du potager (dont une à la mode ayurvédique), et des ateliers didactiques.
L'introduction à ESAD est entrée dans le vif du sujet de la semaine avec un rappel des enjeux auxquels l'apprentissage en agriculture responsable est censé répondre :
Créer des compétences pour la transition alimentaire implique de savoir comment produire de façon plus responsable, mais aussi pourquoi.
Aux perspectives concrètes de création d'emplois s'ajoutent des enjeux d'inclusion sociale, et leurs implications encore mal connues : en acceptant des apprenants, qu'ils soient volontaires, saisonniers, apprentis, retraités et/ou demandeurs d'emploi, le modèle économique de l'entreprise agricole commerciale et pédagogique n'est pas seulement créatif dans le domaine de la réinsertion et de la cohésion sociale (tissu social et intergénérationnel). Il se distingue aussi des agriculteurs "spécialisés" dans la production, par la requalification positive de certaines pratiques agro-écologiques : les cultures associées, la valorisation de petites surfaces, le monitoring direct des ravageurs et adventices. Nécessitant une intervention humaine directe (tâches manuelles et/ou sensorielles), donc un coût en travail, ces pratiques ont parfois subi une disqualification économique. Leur abandon, sous l'effet de contraintes de productivité et de rentabilité, peut entraîner une menace directe pour la diversité des agro-écosystèmes, le contrôle biologique des ravageurs, la valorisation des petites surfaces et des bordures (tissu agro-écologique).
Après l'exposé des enjeux, des contenus et des supports d'ESAD, la présentation identifie de quoi le programme d'apprentissage aura besoin pour développer son impact didactique à la mesure des enjeux identifiés : supports didactiques, gouvernance participative, espaces didactiques abrités, outils de reconnaissance.
Les visites ont conduit le groupe à travers les deux potagers de Vert d'Iris (Anderlecht). A InnRGreen, les visiteurs ont pu observer le dépôt de stockage des serres récupérées, le projet de vermicompost, l'aire de compostage du projet Humus Pro, et les cultures agroforestières du site : courges, fèves, éprinards, choux frisés, aromates, etc, distribuées entre les lignes de pommiers, poiriers, cognassiers, pruniers, griottiers.
Le compostage de matières organiques professionnelles représente l'un des aspects innovants du potager InnRGreen. Dans le cadre du projet Humus Pro (soutenu par le programme régional Be Circular), Vert d'Iris collecte 120 tonnes par an de sous-produits végétaux provenant de professionnels bruxellois de l'alimentation : invendus de magasins bio, champost, etc. Après compostage, ces sous-produits sont valorisés comme engrais et amendements sur les potagers. Une petite partie alimente un projet pilote de vermicompostage pour la production de lombricompost, disponible sur le webshop de Vert d'Iris.
Soucieux de nourrir la réflexion pédagogique par une séquence expérientielle, le programme a offert deux ateliers pratiques au groupe à l'issue des visites de potagers : la confection de mottes avec semis, et la préparation d'une planche d'aillet agroforestière (repiquage d'ail sous les fruitiers).
Les visiteurs ont également testé les produits du potager à l'occasion des repas de la cantine du potager, mais aussi lors d'un dîner orienté Ayurvéda préparé par Frédéric Vergez (Fredveggiecook), spécialiste d'alimentation consciente à Anderlecht.
2) La Ferme Arc en Ciel à Wellin
Créé en 1987 par Rudolf et Marcelle Köchli sur 10 ha, la Ferme Arc en Ciel est dès l'origine animée par un souci d'autonomie et de connexion au terroir. Elle a évolué progressivement vers une structure commerciale avec Serge Peereboom et Natacha Köchli, à travers notamment la fondation du réseau des GASAP en 2006. Les potagers, au fil de leur expansion, conservent une forte dimension expérimentale comprenant le resemis spontané, l'intervention minimaliste (sur le sol, l'eau du sol, les ravageurs, et la conduite des fruitiers), le paillage, l'enrichissement en carbone au moyen de biochar, la biostimulation au moyen de bokachi, les associations d'aromates (Artemisia annua) et de fruitiers dans le potager, la comparaison de rendements en fonction des apports au sol, les GASAP, le SPG... Les cultures en extérieur sont complétées par des cultures sous tunnels plastiques et en cave (chicons).
A partir de 2016 la ferme choisit de sortir des GASAP pour se consacrer à un système plus participatif et local, incluant la participation des mangeurs aux récoltes. Elle renforce sa vocation d'accueil via la construction d'un gîte spacieux de style autrichien (éco-construction Thoma en bois massif, avec génération photovoltaïque et récupération des effluents dans deux citernes de 240 m3).
L'approche générale minimisant l'intervention ("désordre ordonné") se traduit par des observations qui peuvent surprendre : fruitiers conduits en forme libre (boule totalement ronde - voir cognassier en arrière-plan, photo 4 ci-dessous) ; bonne vigueur générale des cultures ; rendement brut inférieur des tomates sous serre irriguées seulement une fois par semaine, mais matière sèche supérieure et bas niveau de maladies cryptogamiques ; vitalité étonnante des poireaux sans irrigation entre juin et septembre (photo 5), en situation de sols minces (shiste affleurant).
Après la visite des potagers, le séjour à Wellin s'est focalisé su une série de présentations couvrant le système participatif de garantie (SPG), le MAP et son Ecole Paysanne Indépendante,
Introduction au SPG - Serge Peereboom
Parmi les expérimentations conduites à la ferme Arc en Ciel, Serge a collaboré à l'émergence du SPG : le Système Participatif de Garantie, dans le but de rapprocher les consommateurs (mangeurs) de la sphère de la production. Le SPG est conçu comme un outil pour se réapproprier l'agriculture et l'alimentation.
Le SPG est analogue à la certification biologique, qui garantit au consommateur le respect d'un cahier des charges, et protège ainsi l'avantage sanitaire et environnemental qui revient au producteur bio. La démarche du SPG s'inscrit toutefois au-delà d'un label, et repose sur une démarche critique vis-à-vis d'une certification payante et de l'administration des contrôles agricoles en général (conformité sanitaire en particulier). Au lieu des contrôles opérés par les organismes de certification, le SPG propose une collaboration fondée sur la confiance et la proximité. Cette collaboration réunit les mangeurs et les producteurs : regardons ce qu’on mange, avec les mangeurs, qu’est-ce qu’on peut faire pour améliorer notre alimentation.
Le SPG regroupe aujourd'hui une petite trentaine de fermes, essentiellement en Wallonie. Ce système émerge dans d'autres pays (France, Brésil, Inde, Bolivie...) et n'est pas encore reconnu à l'échelle européenne. Il est émergent en Flandres et aux Pays-Bas (où les voedsel teams font émerger un système participatif analogue au SPG Wallon qui sert de référence), en Italie.
Concrètement, le SGP repose sur 3 piliers :
une ferme motivée par le SPG,
un groupe de mangeurs,
un accompagnant (autre ferme SPG) : ici le MAP (les GASAP à Bxl), en Bolivie la municipalité.
La Région Wallonne soutient depuis 2021 le développement 40 groupes SPG. Il y en a 24 aujourd’hui : un groupe / ferme. Discussion sur le nombre de groupes nécessaires si le système devait s’étendre.
Présentation du MAP et de son Ecole Paysanne Indépendante (EPI) (Johanne)
Le Mouvement d'Action Paysanne (MAP) existe depuis 20 ans, les 1ères fermes écoles depuis 10 ans.
Le MAP est fondé sur le développement de l'agriculture paysanne, de l'agro-écologie et de la souveraineté alimentaire.
L'Ecole Paysane Indépendante (EPI) développe des formations structurées en cours A (base), cours B (donnent accès aux aides à l'installation : capacité agricole) et cours C (perfectionnement). Elle propose aussi des formations longues en fermes-écoles, et des formations à la carte.
Les fermes écoles : accueillent durant la saison, 1 à 2 jours / semaine, et articulent contenus théoriques et pratiques.
Des formules à la carte permettent la co-construction du programme avec l’apprenant, plus flexible. Les critères pour devenir ferme école sont en cours de redéfinition, ils comprenaient initialement des critères de viabilité économique, et des conditions liées à la pratique bio / agro-écologique. La volonté d’inclure d’autres acteurs qui ne serait pas exclusivement fondés sur la production agricole a conduit à redéfinir ces critères. La définition de la capacité à transmettre des compétences se heurte à des difficultés de reconnaissance de cette capacité.
Le financement des formations reste une autre source de difficultés, étant donné le faible actuel niveau des aides publiques, issues pour la plupart de la Région Wallonne.
Ces difficultés encouragent la recherche de mécénat, notamment avec les abbayes ou les ONG, pour développer le financement d’un parcours d’installation adapté.
En parallèle, le MAP est actif dans les réseaux de Via Campesina, et collabore nontamment à la production d’un référentiel de formation (savoirs, savoir être, savoir devenir) : guide pour les paysans formateurs.
Présentation de cas concrets de fermes écoles
Bernard Moreau présente son expérience de développement de la Ferme du Moulin du Wez depuis 40 ans en tant que nimaculteur. La ferme est devenue membre de l'EPI : 14 ha, 60 chèvres, reprise par sa fille il y a 7 ans (production légumière et fromagère).
Louis Larock présente son expérience de la Ferme Larock en tant que fils d’agriculteur. Reprise de la ferme en maraîchage au début des années 2000, et diversification (élevage bovin, formation, petite école, magasin) dans une orientation biodynamique. Louis invite les apprenants à un chemin de connaissance qui débouche sur un chemin de pratique. Par exemple, via des cours sur la botanique Goethéenne, en relation avec les préparations biodynamiques. Il insiste sur les moments d’observation sensible, des outils de Goethe, de la phénoménologie : démarche pas si “philosophique”, mais très pratique, paysanne. Il souligne la place centrale de la vache, qui est tout en digestion, polygastrique et rumination buccale, qui digère jusque dans la tête et dans les cornes.
Marie Albert présente sa pépinière de plantes comestibles : Ortie Culture, démarrée en 1988 et qui a évolué avec des plantes comestibles, annuelles, vivaces, dans une recherche de diversité.
François Parsy présente le compagnonnage en agro-écologie organisé au sein de Fermes d'Avenir : 100 compagnons inscrits au programme depuis 5 ans, 20% ayant entamé une carrière en maraîchage. Voir la présentation réalisée à l'occasion de l'ouverture de la saison 2022.
Maurizio Agostino présente Rete Humus, un réseau d’organisations italiennes impliquées dans l’environnement et l’agriculture biologique. Rete Humus vise à partager les techniques en agriculture bio et les valeurs proches de l’IFOAM, du Fair Trade, et de l’économie sociale et solidaire. Une charte fédère les membres du réseau, en promouvant les bonnes pratiques sur la base d'indicateurs scientifiques. Un aspect particulier porte sur l'exclusion systématique des organisations maffieuses dans le secteur du bio. Rete Humus travaille par ailleurs à l'émergence d'un système de garantie participative.
3) La Ferme du Pré aux Chênes (Macon)
Présentation de la ferme
La Ferme du Pré aux Chênes est tenue par Philippe Genet, paysan boulanger qui cultive ses céréales dans une démarche de recherche de qualité et d'autonomie. Sa motivation provient de l'érosion de la filière céréalière boulangère régionale, supplantée par les cultures fourragères industrielles d'une part, et l'importation des céréales boulangères (UK, USA, Ukraine), d'autre part.
Sa démarche d'autonomie l'amène à récupérer des petites moissonneuses-batteuses des années 1960, dont la taille réduite est adaptée à la valorisation de petites parcelles.
Son élevage de porcs en libre parcours (Duroc) permet de valoriser les sous-produits du moulin, et de produire une gamme de charcuterie de qualité.
Son installation de meunerie, alimentée par de l'électricité solaire, lui permet de réaliser la mouture et le blutage : tamisage des farines complètes avec différents filtres pour différencier les farines.
La boulangerie produit 250-300 kg de pain / semaine, écoulés dans les magasins bio, y compris le magasin coopératif La Botte Paysanne de Sivry.
Philippe forme des apprenants, et entreprend par ailleurs un atelier de co-workers pour louer son installation et se dégager des créneaux de temps libre.
Son objectif est d'installer des paysans boulangers pour contribuer à la souveraineté alimentaire régionale, tout en transmettant du savoir et du savoir faire, en développant des outils collectifs, en formant à l'agroécologie et aux énergies renouvelables (il n'est pas raccordé au réseau).
Atelier sur la diversité des blés
Philippe s'attache à montrer la différence entre présentation powerpoint (vue, ouïe) et une expérience plus sensorielle des blés (vue, ouïe, toucher). L'atelier présente une diversité de blés paysans de différents pays (diapos) puis des échantillons sont disposés sur des tables pour un examen sensoriel direct. Un exercice s'attache ensuite à reconnaître une petite gamme de blés et d'autres céréales et grains (blés, seigle, avoine, épeautre, sarrazin etc).
Atelier boulangerie
Le groupe est ensuite invité à confectionner des pizzas puis des brioches avec le four à bois qui vient de cuire une fournée de pain. Une bonne occasion d'apprendre ou réapprendre quelques gestes élémentaires de boulangerie, et leurs options hennuyères et italiennes ! Au son de l'accordéon et rafraîchis par de la bière d'abbaye.